Plus de diversité à la RTBF, « une question de vie ou de mort » : quels efforts à la rédaction ?

Plus de diversité à la RTBF, « une question de vie ou de mort » : quels efforts à la rédaction ?

C'est un constat qui est dressé régulièrement par le CSA, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel : la diversité de la population est mal représentée dans les médias.

Diversité de genre, mais aussi d’origine, d’âge ou de niveau socioprofessionnel, les chiffres de la RTBF, notamment, ne sont pas bons. C’est ce que confirment d’ailleurs les rapports de la société Auxipress, payée par la RTBF pour rendre des rapports en la matière tous les trois mois.

Pour octobre, novembre et décembre 2021, ce baromètre indique ainsi que seules 38% de femmes étaient représentées sur nos antennes. 93% de nos intervenants étaient perçus comme blancs, 3% avaient plus de 65 ans, 5% avaient moins de 18 ans et 0,10% étaient perçus comme porteurs de handicap. Des chiffres qui sont loin d’être représentatifs de la population belge.

Alors comment expliquer ces mauvais résultats et quels sont les efforts mis en place pour y remédier ? On vous explique tout ici.

Les chiffres des différents baromètres concernent à chaque fois l’ensemble de la RTBF. Du côté de la rédaction, il y a donc eu une volonté de s’interroger sur la diversité dans les différents rendez-vous d’information.

Les femmes sous-représentées

Et le premier chantier auquel un groupe de travail s’est attaqué, c’est la diversité de genre.

« Depuis novembre, on demande à toutes les émissions qui ont des invités de calculer la présence d’hommes, de femmes ou de personnes non genrées« , explique Manu Delporte, journaliste chargée du projet diversité à l’info. Le journal télévisé, QR, Jeudi en prime, Matin Première, Déclic ou encore On n’a pas fini d’en parler se sont donc prêtés au jeu depuis lors, et les résultats ne sont pas beaucoup plus glorieux que pour le reste de la RTBF.

Le journal télévisé, par exemple, a invité 33% de femmes depuis le mois de novembre. Sur Matin première, on n’est pas loin devant avec 35%. Et pour ce critère, il est facile de savoir si on se rapproche de la réalité : en Belgique, il y a environ 51% de femmes pour 49% d’hommes. Les femmes sont donc sous-représentées.

« Au final, pour toutes les émissions d’infos avec invités qui entrent dans cette comptabilité, on est à 34% de femmes depuis le début« , résume Manu Delporte. Mais l’objectif n’est pas de pointer du doigt d’éventuels mauvais élèves. « On ne peut pas améliorer ce qu’on ne compte pas, poursuit Manu. En comptabilisant, il y a déjà une première chose qui va se mettre en place : la sensibilisation. Et il y a clairement une amélioration parce que maintenant les journalistes ou les assistants qui invitent sont en recherche de femmes qui pourraient prendre la parole. Et le fait de poser la question génère des possibilités plus importantes d’avoir des femmes sur les plateaux« .

Dans l’équipe de Matin première, Thomas Gadisseux, responsable éditorial politique en charge de l’interview de 7h45, a été sensibilisé à cette question comme ses collègues. « Ça ouvre le champ, constate le journaliste. Ce qui pourrait être une contrainte devient une ouverture vers des personnalités d’enrichissement. Il faut reconnaître que c’est plus facile d’aller vers les trois numéros de téléphone qu’on a tout le temps, qui sont super faciles et qui sont disponibles. Le problème, c’est que de manière générale, ces trois numéros pour l’instant ce sont des hommes, et ce dans plein de domaines« .

Plus de femmes à l’antenne, cela passe donc par une démarche proactive. Il faut aller à la recherche de femmes expertes, scientifiques ou spécialistes comme la rédaction a pu le faire dans la crise du Covid-19 avec l’infectiologue Leïla Belkhir ou l’immunologue Murielle Moser.

Le Premier ministre, je ne sais pas en faire une femme

Mais il y a tout de même beaucoup d’obstacles comme le nombre de femmes qui occupent des postes importants ou influents dans les ministères, les grandes fédérations ou les lobbies. « C’est un élément qu’on ne maîtrise pas, explique Thomas Gadisseux. La ministre de l’Énergie c’est une femme, mais ce n’est pas pour ça que je l’invite : j’invite la personne responsable du ministère de l’Énergie, c’est tout. Et le Premier ministre, je ne sais pas en faire une femme, donc ma marge de manœuvre est quand même réduite « .

Et c’est vrai que dans d’autres médias qui souhaitent tendre vers l’égalité hommes femmes, on a parfois d’autres méthodes de calcul. À la BBC, par exemple, sont exclues des comptages toutes les personnalités sur lesquelles les journalistes n’ont pas d’impact, qui interviennent parce qu’elles occupent un poste bien précis. Ce qui ne donne pas les mêmes résultats lors des comptages.

A noter que la BBC a contribué à inspirer la RTBF, comme nous vous en parlions dans cet article Inside, suite à la venue dans nos locaux de la responsable anglaise du « 50 : 50 Project ».

Des femmes moins disponibles ?

Dans la société civile, par contre, la marge de manœuvre est beaucoup plus large. « Il ne faut pas croire qu’il y a moins de femmes expertes que d’hommes, précise Manu Delporte, dans les universités, il y a même parfois plus de femmes que d’hommes« . Mais alors pourquoi sont-elles moins représentées sur nos antennes ? Est-ce juste une question de volonté de la part des journalistes ?

Pas seulement. Pour Manu Delporte, il y a aussi ce constat : « Les femmes sont souvent moins disponibles que les hommes. Elles ont aussi régulièrement un sentiment d’imposture : quand on les appelle, elles pensent qu’il y a quelqu’un d’autre de plus compétent pour répondre aux questions. Enfin, elles se font beaucoup plus souvent critiquer, notamment sur les réseaux sociaux, quand elles interviennent publiquement« .

En 2019, nous avions creusé cette question dans un autre article Inside, en interrogeant également des expertes sur leur rapport aux médias : « Comptez les femmes expertes sur nos antennes : notre info est-elle sexiste ? »

C’était alors l’amorce d’une prise de conscience dans les rédactions, qui se poursuit et s’intensifie donc aujourd’hui, même s’il reste du travail.

Origine ethnique, catégorie socioprofessionnelle : autres chantiers en cours

À côté de la diversité de genre, il y a beaucoup d’autres critères sur lesquels la rédaction peut encore s’améliorer. Manu Delporte est d’ailleurs passée dans toutes les équipes de la rédaction pour leur proposer de s’emparer de l’un d’eux et chercher des pistes d’amélioration.

Dans la cellule société par exemple, qui rassemble les journalistes traitant des sujets de société aussi diversifiés que la santé, la culture, l’enseignement ou la consommation, l’équipe a décidé de réfléchir à une façon de se pencher sur les catégories socioprofessionnelles.

D’après les baromètres, la RTBF donne la parole à 60% de personnes issues de catégories socioprofessionnelles supérieures alors qu’elles ne représentent que 12% de la population en Belgique. Les journalistes de la cellule internationale se pencheront eux sur la diversité d’origine et d’autres encore s’intéresseront aux personnes porteuses de handicap ou à la diversité d’âge.

Maintenant que les équipes ont leur cheval de bataille, reste à se mettre au travail pour assurer une meilleure représentativité de nos publics. Tout n’est pas encore déterminé quant à la façon de mettre en œuvre concrètement l’objectif.

« C’est vraiment une question de vie ou de mort, insiste Manu Delporte. Si on ne représente pas la population à laquelle on s’adresse, c’est normal qu’elle s’en aille sur d’autres médias qui leur montrent une image qui leur ressemble« .

Vews : champion de la diversité

À l’info, un de nos médias est souvent cité en exemple en matière de diversité : Vews. Sur sa page Facebook et sur son compte Instagram, l’équipe de Vews propose des témoignages de société sur des thèmes très variés. Et très rapidement après s’être lancée, l’équipe s’est intéressée à la diversité de ses intervenants.

« Fin 2019, j’ai commencé à encoder nos sujets dans un fichier Excel en mettant le genre, la diversité ethnique et le port d’un handicap, explique Nicolas Koussa, social editor chez Vews. On était un peu meilleur qu’à l’info en général, mais on avait quand même une surreprésentation d’hommes et de personnes blanches, et très peu de personnes porteuses d’un handicap« .

Alors très vite, l’équipe se remet en question et cherche à améliorer ces chiffres en diversifiant ses témoins. « Plus on fait l’effort, moins il faut le répéter et ça devient bien ancré dans la tête des équipes. Résultat, en 2021, on a même eu une surreprésentation des femmes dans nos intervenants« , raconte Nicolas Koussa. « C’est même devenu un cercle vertueux. Les gens voient qu’on donne la parole à tout le monde et pas seulement à des universitaires ou des experts, et ils nous contactent plus facilement. Aujourd’hui, il y a beaucoup de sujets où ce sont des personnes qui nous ont directement contactés« , ajoute-t-il.

Un effort plus facilement réalisable pour cette équipe de par la nature digitale des productions qui ne sont pas soumises à la pression d’une antenne comme celles d’un journal télévisé ou d’un journal parlé. « On a le luxe du temps« , reconnaît Nicolas.

On peut toujours faire mieux

Mais même avec des chiffres exemplaires en termes de diversité, il y a toujours matière à s’améliorer. L’équipe de Vews s’est ainsi rendu compte qu’elle n’avait plus donné la parole à une personne afro-descendante depuis trois mois, et compte bien y remédier rapidement. Les journalistes pensent aussi à la suite.

« Récemment, on a eu notre premier sujet où une personne porteuse de handicap parlait d’autre chose que de son handicap« , précise Nicolas Koussa. L’objectif est donc de mettre en lumière des intervenants qui ne vont pas forcément parler de ce qui fait leur diversité, mais de sujets de société au sens large.

Et la diversité au sein de la rédaction ?

La diversité au sein des contenus passera sans doute par cet effort d’ouverture de la rédaction, mais aussi par une représentation plus diversifiée de la société au sein même de l’équipe des journalistes. Car aujourd’hui, il faut bien reconnaître que les profils sont majoritairement similaires : les journalistes sont en grande partie blancs et ont des parcours et des modes de vie qui se ressemblent dans les grandes lignes.

Pour attirer d’autres profils, la rédaction a récemment lancé un Hackanews à Charleroi où des dizaines de jeunes ont passé trois jours avec des journalistes pour se confronter au métier.

Plusieurs objectifs poursuivis par ce programme ont déjà été rencontrés : « Pendant trois jours, on a vraiment fait de l’éducation aux médias avec ces jeunes, explique Jacques Cremers, chef de rédaction « société » qui a participé au projet. Une quarantaine de personnes en interne ont aussi travaillé avec eux, ce qui a permis de sensibiliser la rédaction info sports à la diversité et aux attentes des nouvelles générations« .

L’évènement, coorganisé avec Charlewood, l’antenne carolo de Molengeek, le désormais célèbre incubateur de start-up de Molenbeek, avait aussi pour objectif de faire du recrutement.

« Pendant les exercices, on a regardé leurs compétences, leur manière de concevoir l’info, de l’appréhender, leurs capacités d’analyse, leur aptitude à travailler ensemble, leur capacité de leadership ou à se mettre au service du groupe dans certains cas. On en a sélectionné une dizaine et ils vont venir très prochainement à la RTBF. On espère que parmi eux, on pourra en placer l’un ou l’autre dans un parcours de formation à l’intérieur de la RTBF qui pourrait déboucher sur une forme de contrat à durée déterminée, voire peut-être un CDI« , précise Jacques Cremers.

Il faut aller plus loin

Une façon pour la rédaction de recruter des candidats qui ne se seraient pas présentés à la RTBF autrement. Une expérience pilote qui prendra du temps et ne permet pas encore de dire si elle sera efficace ou non.

Pour Safia Kessas, responsable de la Diversité à la RTBF, cette diversification des canaux de recrutement est une bonne chose. « On vit dans une société où il faut mettre en place des mesures pour créer une égalité des chances et elle doit être créée à tous les niveaux, précise-t-elle. Ce hackathon est une super initiative parce qu’il y a des personnes qui ne seraient jamais venues vers la RTBF autrement. Mais il faut aller plus loin« .

Au-delà de la participation à cette expérience, Safia Kessas préconise de créer une véritable stratégie pour accompagner ces nouveaux profils au sein de la rédaction. « Il faut mettre des conditions en place pour que des personnes issues de minorités soient bien accompagnées au sein d’une structure où le simple fait d’être une minorité peut être considéré comme une violence en soi. Et je ne parle pas de comportements explicites vis-à-vis d’elles, mais de tout ce qui est justement implicite et invisible« , explique la responsable de la Diversité.

De son côté, Jacques Cremers insiste, tout sera fait pour que les journalistes soient tous sur un pied d’égalité : « Actuellement, il y a déjà des filières qui permettent à des techniciens de la RTBF de devenir journaliste. Que ce soit via cette filière de reconversion ou via le hackanews, il faudra réussir une certification de même niveau que celle de l’examen classique destiné aux futurs journalistes, l’exigence sera la même pour que tous soient des journalistes à part entière« .

« Le fait de créer des certifications est une bonne chose, il faut aller vers ça« , approuve Safia Kessas avant d’insister à nouveau : « Mais ça ne signifie pas pour autant que ces personnes vont se sentir respectées et resteront à la RTBF et c’est là tout l’enjeu. Il faudra régulièrement faire des audits sur la manière dont les personnes recrutées via ces canaux-là se sentent, quelles sont les choses à améliorer, etc. Créer un cercle de confiance pour pouvoir leur permettre de continuer à évoluer sans se décourager« .

Si l’expérience s’avère concluante, elle sera certainement reconduite dans d’autres villes du pays, dans un but toujours identique : amener plus de diversité sur les antennes et dans les contenus de la RTBF.

Par Sarah Heinderyckx, journaliste à la rédaction RTBF Info, pour Inside

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