Pourquoi la Coupe du monde au Qatar n’enthousiasme pas les foules?

Pourquoi la Coupe du monde au Qatar n’enthousiasme pas les foules?

Une crise énergétique qui plombe le pouvoir d’achat, d’innombrables polémiques autour de l’attribution de l’événement au micro-État qatari, une saisonnalité inédite et… des Diables rouges pas très rassurants: à quelques jours de son match d’ouverture, la 22e Coupe du monde ne suscite guère les passions.

Article écrit par JEAN-FRANÇOIS SACRÉ   16 novembre 2022 20:30

La Coupe du monde de football qui se déroule du 20 novembre au 18 décembre au Qatar déclenche davantage les polémiques que les passions. Que l’on regarde la télévision, lise les journaux, scrolle sur les réseaux, se balade dans les rues ou fréquente les grandes surfaces, on ne peut pas dire que c’est l’effervescence. Au contraire, c’est plutôt la grogne. Pour quatre grandes raisons.

L’organisateur

Inutile de rappeler les polémiques autour de l’attribution du plus gros événement sportif de la planète au Qatar: atteinte aux droits de l’homme, des femmes, des LGBT+ et à la liberté d’expression; morts sur les chantiers; stades climatisés… Au fur et à mesure que la date de l’événement approchait, des voix se sont élevées pour dénoncer l’octroi de la compétition à ce micro-État pas plus grand que la Flandre.

Au point de pousser certains à refuser de s’y rendre, comme Nicolas Dardenne, alias Obelgix. Ce patron d’une PME active dans le recrutement est le plus célèbre supporter des Diables rouges. « J’avais acheté tous mes tickets jusqu’à une potentielle finale de la Belgique, mais j’ai des principes et je ne peux pas cautionner ce qui se passe là-bas, j’ai donc tout annulé il y a un mois. J’ai acquis une certaine image et, comme patron, je ne veux pas la dévaloriser en m’affichant sur place. »

NICOLAS DARDENNE, ALIAS OBELGIX SUPPORTER LE PLUS CONNU DES DIABLES ROUGES
"J’ai des principes et je ne peux pas cautionner ce qui se passe là-bas."

Sociologue du sport à l’ULB, Jean-Michel Dewaele constate en effet « qu’il y a un vrai malaise autour de cette Coupe du monde« . Deux exemples: les faux supporters (des immigrés vivant au Qatar) payés pour animer les artères de Doha en affichant maillots et drapeaux des pays participants, et les 450 fans invités (dont une vingtaine de Belges) tous frais payés par le Qatar en échange d’un rôle « d’ambassadeur » des organisateurs avec interdiction d’émettre la moindre critique.

« Ce malaise est renforcé par le contexte géopolitique, environnemental et la crise économique que l’on vit qui crée beaucoup d’angoisse dans nos sociétés, ajoute Jean-Michel Dewaele; mais aujourd’hui, on se réveille un peu tard pour s’indigner. Lancer des appels au boycott revient à s’acheter une bonne conscience, il fallait le faire dès l’attribution du tournoi en 2010. »

La saison

Pour les fans, une Coupe du monde en novembre-décembre, ce n’est pas folichon. Le côté festif y est beaucoup moins de mise. « Vu la saison et les coûts, il y aura moins de monde sur place et moins d’occasions de fraterniser avec les supporters des autres pays », déplore Nicolas Dardenne.

JEAN-MICHEL DEWAELE SOCIOLOGUE DU SPORT À L'ULB.
"On se réveille un peu tard pour s’indigner. Lancer des appels au boycott revient à s’acheter une bonne conscience, il fallait le faire dès l’attribution du tournoi en 2010."

En Belgique aussi, l’esprit n’est guère aux réjouissances. Des dizaines de communes ont renoncé à placer des écrans géants sur leur territoire, pour des raisons d’ordre à la fois éthique, environnemental et économique, installer des chapiteaux chauffés coûtant une fortune.

Même l’Union belge a annulé in extremis le « Village des supporters » qui était prévu à Vilvorde: « Nous avons vendu beaucoup moins de billets que prévu, et force est de constater que, pour le moment, les événements avec de grands écrans attirent moins de monde que les autres années« , commente Manu Leroy son directeur du marketing. Même chose pour le « Grand village de la Coupe du monde » au Nekkerhal de Malines. Ses organisateurs ont indiqué au Standaard qu’ils n’avaient vendu que 200 billets alors qu’il en aurait fallu en écouler entre 1.500 et 2.000 pour rentrer dans leurs frais.

« Cette morosité est une vue assez occidentale des choses, nuance Jean-Michel Dewaele, en Amérique du Sud et en Afrique, je vous assure qu’on fera la fête. » Les chiffres semblent lui donner raison. Selon l’AFP, on attend au Qatar pas moins de 70.000 supporters mexicains et 30.000 argentins. En revanche, il y aura très peu de fans belges, entre 400 et 600 par match des Diables durant la phase de poule, indique-t-on à l’Union belge.Restera donc à se caler devant son téléviseur. En dépit du scepticisme ambiant, la RTBF, qui retransmettra l’intégralité des matchs sur ses plateformes et divers magazines se dit convaincue que l’audience sera au rendez-vous. « Même si le calendrier n’est pas idéal, cela reste l’événement sportif le plus regardé de la planète », justifie Benoît Delhauteur, son directeur des sports. Reste à voir si la RTBF dépassera le 1,5 million de téléspectateurs et les 80% de parts de marché pour les matchs des Diables comme lors des tournois précédents.

-25% Chez Decathlon, les ventes de maillot des Diables rouges sont en recul de 25% par rapport aux précédents grands tournois
PIERRE-ALEXANDRE BILLIET CEO DE GONDOLA
"On sent qu’il y a moins d’animations autour du Mondial dans les magasins, moins de promo."

« Habituellement, certaines catégories de produits comme la bière ou les chips voient leurs volumes augmenter de 25% durant une Coupe du monde, mais vu la saison, je ne suis pas sûr du tout qu’on observera les mêmes tendances », estime quant à lui Pierre-Alexandre Billiet, CEO de la plateforme Gondola, dédiée au monde du retail. Il observe un recul des ventes en volume dans le secteur de 5 à 10% et même de 12% dans l’électro (télévision…). « On sent qu’il y a moins d’animations autour du Mondial dans les magasins, moins de promo, ne serait-ce que parce que les coûts de fabrication des gadgets ont grimpé de 50%. » À cela s’ajoute le dilemme éthique des grands distributeurs: « Tous plaident pour une consommation raisonnable, notamment Carrefour, sponsor des Diables, c’est assez schizophrénique. »

Les Diables

Figurant parmi les favoris il y a quatre ans, les Diables Rouges font cette fois figure de simples outsiders. En cause, une « génération dorée » vieillissante (Vertonghen, Alderweireld, Mertens, Witsel…), des joueurs hors forme (Hazard) ou blessés (Lukaku), quelques jeunes encore un peu tendres (Debast…). Deux indices: selon l’Observatoire du Football, un groupe de recherches faisant partie du Centre international d’étude du sport à Neuchâtel, en Suisse, la valeur financière de l’effectif des Diables rouges n’est que la 10e des 32 équipes participantes alors que lors des précédents tournois, elle se situait dans le peloton de tête. De son côté, la Lloyd’s voit les Belges éliminés dès les 1/8e de finale par l’Espagne.

Et si, in fine, ce n’est pas le Roi Philippe qui redonnait espoir aux fans des Diables Rouges? La vidéo du Palais où on le voit revêtir le rôle d’entraîneur à la place de Roberto Martinez est un petit bijou de second degré et fait un tabac sur les réseaux sociaux…

Un grand cru publicitaire? Ça reste à prouver

À chaque année de grand tournoi footballistique (Coupe du monde, Euro), la planète pub est en surchauffe. Les annonceurs profitent généralement de ce moment unique mêlant enjeux sportifs et émotion collective pour essayer de toucher quasi toutes les couches de la population. Ce n’est pas un hasard si le chiffre d’affaires publicitaire en télévision de la RTBF – inamovible détenteur des droits médias sur ces événements – augmente ou, au pire, est stable en année de grand tournoi. Ce fut le cas en 2014 (Coupe du monde au Brésil), en 2016 (Euro en France) en 2018 (Coupe du monde en Russie) et en 2021 (Euro). Bon an mal an, cela fait plusieurs millions de revenus en plus pour service audiovisuel public.

Triple handicap

Le Mondial 2022 permettra-t-il de perpétuer cette tradition? À voir. « Cette édition souffre d’un triple handicap au nouveau publicitaire, observe Bernard Cools, directeur de la recherche au sein de l’agence médias Space, d’abord, il y a la crise qui rend les annonceurs frileux, le marché est d’ailleurs en baisse (sur les 10 premiers mois de l’année, la pub télé en Belgique francophone a reculé en chiffres bruts de plus de 14% selon Nielsen, NDLR). Ensuite, il y a la saisonnalité, à l’approche des fêtes, novembre et décembre sont des mois traditionnellement forts pour la pub télé, il faut donc plutôt s’attendre à des transferts de budgets pub et non à des investissements supplémentaires comme lorsque l’événement a lieu en été quand le marché est plus calme. Enfin, il y a toutes les polémiques liées au Qatar, certains annonceurs ne voulant pas y être associés. » Dans ce contexte, l’expert estime que si la RTBF devrait s’en tirer, RTL, qui ne possède pas les droits, mais qui diffusera malgré tout un talkshow quotidien autour de l’événement sur sa plateforme RTLplay, peut s’attendre en revanche à une fin d’année plus compliquée.

Chez RMB, régie de la RTBF, on reste zen. « C’est vrai que le contexte de ‘Qatar bashing’ et la saisonnalité inhabituelle de l’événement ne nous aident pas, reconnaît Yves Gérard, néanmoins nous nous attendions à pire et, à ce stade, nous restons dans les clous de nos prévisions avec des écrans pubs remplis de 80 à 90% pour les trois matchs de poule des Diables rouges. Après, tout dépendra de leur parcours. »

Yves Gérard constate toutefois que le sponsoring d’émissions et de séquences démarre moins bien que d’habitude et que certains annonceurs qui étaient traditionnellement présents lors de ce genre d’événement ne sont plus au rendez-vous prétextant le contexte qatari. « Novembre-décembre sera sans doute meilleur que d’habitude, mais lorsque la Coupe du monde a lieu en juin-juillet, c’est évidemment meilleur pour nous, il suffit de penser à des secteurs comme la bière ou les soft drinks », résume-t-il.

Événement incontournable

« Le contexte économique rend nos membres prudents, indique de son côté CEO Luc Suykens, le CEO de l’Union Belge des Annonceurs; ceux qui n’ont rien à voir avec le contexte du football ont décalé leurs campagnes, quant aux autres la Coupe du monde reste malgré tout un événement difficilement contournable. » Le représentant des annonceurs indique que le contexte qatari n’est pas du tout évoqué au sein de son association: « Nous n’avons pas à mener ce genre de débat, c’est aux annonceurs à décider de leur stratégie de communication. »

Certains sponsors des Diables rouges ont cependant annoncé il y a quelques mois qu’ils feraient moins de bruit que d’habitude dans les médiasAuxipress, société d’analyse de contenus médiatiques, le constate dans la presse et sur le web où les marques ne communiquent pas beaucoup ou font profil bas. « Il y a très peu de communication venant des sponsors des Diables rouges, surtout sur les médias sociaux ou c’est quasi le silence total, observe Thierry Van Winghe, data analyst chez Auxipress; certains comme ING ou BMW postent sur les Red Flames (l’équipe féminine) mais rien sur les Diables rouges, d’autres, comme Carrefour, doivent surtout répondre à des commentaires négatifs et se justifier en précisant qu’ils sponsorisent les Diables et non le Qatar. »

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